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exil86m10
exil86m10
11 mars 2008

Chapitre 5 : idées courtes et vue basse

Aujourd'hui, vous partez à la conquête de Nouméa. Un petit bain d'effervescence citadine vous fera le plus grand bien.
Point névralgique en Calédonie, la capitale concentre à elle seule plus de la moitié de la population de l'île. Parfait. Après la brousse, ce concentré de vie vous plaît beaucoup. Caldoches, Mélanésiens, Wallisiens, Tahitiens... quelle cohabitation
PB220063possible?
Cependant, étant donné votre «merveilleux» sens de l'orientation, ce projet constitue un véritable défi.
Vous voilà tout de même parée.
Une seule route relie Plum à Nouméa (celle qui traverse la tribu Saint-Louis!) et vous en admirez les paysages sauvages et leurs superbes bougainvilliers ou  flamboyants.
Heureuse, vous musardez au gré de vos envies.
C'est dans cet état d'esprit que vous apercevez, au loin, une silhouette qui arpente péniblement la route sans accotement, menaçant de se faire renverser.
De longs cheveux sombres, répandus sur des épaules voûtées, robe fatiguée, pas lourd; elle semble peiner.
Ici, l'auto-stop est une véritable institution. Vous étiez plutôt circonspecte à cette idée mais la vision de cette vieille mama exténuée vous décide. Pauvre femme, elle marche sûrement depuis des kilomètres.
- Je peux vous aider? hasardez-vous, arrivée à sa hauteur.

- Oh oui, j'veux bien, vous répond-on avec un soulagement non dissimulé.

Vous ouvrez votre portière, tout sourire.
- Montez!

La personne prend place dans votre break. Vous redémarrez.
Sur le point d'entamer la discussion,  vos mots se suspendent, quelque chose vous retient... une drôle d'impression. Le silence s'installe...
... En même temps, votre imagination débordante vous joue souvent des tours.
Vous restez sur vos gardes mais
tentez une première question, pour faire un peu connaissance, tout en fixant l'asphalte.
- Vous vous promenez?
Réponse:
- «A la tôle, suis press».
Déstabilisée,
vous ne comprenez pas (traduction?).
Non seulement le sens de ces mots vous échappent, mais vous êtes aussi surprise par la voix : rauque, quasi virile. (
fume trop?)
Vous jetez un regard furtif à votre droite, balayez discrètement le profil, une fois, deux fois...
Cette robe, ces cheveux longs, cette fleur sur l'oreille, cette...barbe (?) Mais, mais, vous jureriez que vous avez la berlue. C'est ...  eh bien, oui!! Que ne l'avez-vous vu plus tôt! Il s'agit .... d'un homme! (
servent à rien vos lentilles?)
Cela vous rappelle confusément une tradition polynésienne ancestrale... (
oui, z'êtes quand même instruite!)
Est-ce-qu'on se vous avait pas dit qu'autrefois, l'aîné de la famille était élevé comme une fille?
On l'habillait même comme telle. On lui confiait des tâches dites plus féminines (
votre côté «défense des droits de la femme» se rebiffe!).
En des temps très sanglants, marqués par les luttes intestines entre familles, cela devait lui éviter de partir se battre, de faire la guerre.. on l'appelait un «mahu». Ce pourrait-il qu'il en existe encore?
- Allez, pousse ta voiture. Plus vite, quoi! éructe-t-il presque.

Lui, tignasse grasse, sans âge, visage fermé, il n'a pas l'air en grande forme.

- T'as d' la karésine? (
déformation de «kérosène», pour dire whisky, son carburant, en somme)
Cette demande n'augure rien de bon.
femmes_kanaquesVotre passager-surprise a l'air complètement imbibé.
Un peu oppressée, vous balbutiez :
- Heu, non, désolée, d'une voix mal assurée.
Vous maudissez votre naïveté. Tension palpable.
- L'onculée (comprendre «encul..») de zoreille, soliloque-t-il en maugréant (zoreille: c'est vous, enfin les blancs de métropole, quoi)

L'atmosphère s'alourdit....
Vous attendez avec impatience le moment où vous allez pouvoir, enfin, déposer votre hôte à destination.
Et pendant ce temps, vous ne portez que peu d'attention à votre itinéraire...
Heureusement, votre passager se renfrogne et se mure dans un silence rageur.
.... Un quart d'heure plus tard, v
ous laissez la  «vieille-mama-exténuée » , avec un soulagement certain, et repartez le plus vite possible, en frissonnant.
Délestée de votre étonnant auto-stoppeur, vous songez alors à votre position sur la carte.
Pas de nom de rue, des panneaux inexistants.
Peine perdue, vous êtes bel et bien égarée.
Vous vous trouvez dans une sorte de zone industrielle, à la périphérie de la ville.
Pas âme qui vive... et pas question de revenir en arrière demander votre chemin à celui que vous venez de déposer!
Incertaine, vous roulez encore quelques minutes, longez un cimetière, une vieille usine de bière locale (la number one!). Finalement vous distinguez un groupe de trois piétons assez imposants.
Echaudée, vous descendez timidement votre vitre.
- Excusez-moi de vous déranger, savez-vous comment gagner le centre ville? J'avoue que je ne sais plus où je suis...

- Bien-sûr, affirme,
avenant , un grand costaud, vraisemblablement Wallisien.
Vous vous concentrez, prête à prendre bonne note des conseils dispensés.
- Dites-moi donc, vous me sauverez d'un mauvais pas, relancez-vous, attentive.

f_vrier_2008_006Au lieu de vous répondre comme vous l'espériez, les trois personnes se consultent du regard.
D'un air entendu, elles contournent la voiture.
Une méprise? Vous allez vous répéter, d'une voix plus forte quand vous réalisez qu'on commence à vous encercler.
Pas le temps de prononcer une phrase. Vos promeneurs s'engouffrent d'un seul coeur dans votre break, pris d'assaut. La résistance est vaine.
A l'aide! Votre précédente expérience vous a suffi pour la journée. Qu'est-ce-que cela signifie?
- Roule, on t'indiquera, affirme l'un de vos passagers clandestins, à la voix sibylline.

Ce genre d'attitude est-il fréquent?... vous ne savez plus trop quoi penser, quoi faire, quoi dire.
Déroutée, les neurones embouteillés, vous vous exécutez,
un petit rictus gêné au coin des lèvres.
Vos «invités», quant à eux, semblent très à l'aise.
- T'as des enfants?

- Heu, oui, 2, répondez-vous, réticente.

Leurs visages sont sereins. Vous vous détendez un peu.
Leurs airs, somme toute, assez bonhommes vous rassurent presque.
Et puis, ils ont la gentillesse de vous montrer le chemin! Vous vous accommodez doucement de leur présence et votre circonspection fait place à une certaine gratitude.
- Eh ben dis-donc, t'as baisé jeune.

- ....

Perplexité. Rire? Vos
interlocuteurs semblent très sérieux...
- Sans doute, oui, hésitez-vous.
On peut dire que ces discussions ne manquent pas de sel!
Vous n'osez ajouter mot.
- C'est bien ma fille, les enfants, c'est la vie.
Quelques minutes s'écoulent.
Vous s
entez dans leur attitude, une vraie bienveillance.
Cela vous réchauffe le coeur.
Les kilomètres défilent, vous voyez bien que vous approchez le centre ville pour un peu vous seriez presque éperdue de reconnaissance!!
f_vrier_2008_014Tiens, un feu rouge. Cela vous laisse le loisir de détacher un peu les yeux de la route.
Vous bavassez tranquillement avec vos nouveaux «amis».
Mouvement rapide sur votre gauche, une portière claque:
- T'es qui toi! Retourne d'où tu viens, dégage!

Une tête hirsute émerge d'un 4X4 tunné, rouge et or. Mine patibulaire et musculature saillante.
Vous réalisez alors que vous n'êtes pas immatriculée comme il convient (vous avez fait venir votre voiture de métropole sans avoir encore pris le temps de régler cette question). Vous avez décidément un don pour déclencher les hostilités...  sans même en avoir conscience....
Vos «anges gardiens» temporisent de bon coeur et vous adjoignent de redémarrer rapidement :
paquebot- Casse pas la tête, ' pas faire attention.
D'une phrase, ils détendent l'atmosphère.
Enfin arrivés à bon port, ces derniers vous gratifient d'un superbe haussement de sourcil et vous saluent avec force gestes amicaux. Vous ne savez plus qui remercie qui.
La ville s'étend sous mes yeux avec ses
multiples baies offertes à la mer.
Nouméa la grande, l'insoumise, l'éclectique, la contrastée.
Les enseignes de luxe (pour les paquebots en escale) cotoîent les troquets les plus étonnants. Les épiceries de quartier sans vitrine aucune, ressemblent à des maisons closes.
Apparaissant ça et là entre le Mégastore et la place des cocotiers, l
es maisons de type colonial sont rongées par les termites...
Et puis, soudain, changement complet de décor. Entre les vitrines surchargées du quartier chinois, robes_missions_2bardées de prix promotionnels et les grandes enseignes lumineuses version riviera à la française, pas plus de 2 pâtés de maison. Bienvenue alors au royaume de la surenchère: lunettes de soleil sur tous les visages, blondes peroxydées, surfeurs en mal de vague. La côte d'azur et ses excès au beau milieu des robes «mission»! (Ces tenues traditionnelles chamarrées habillent toutes les femmes, de la ville à la tribu : un patron presque unique pour des déclinaisons sans fin.)

 

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