Chapitre 4 : Manue Militari
L'Homme, militaire de son état,
prend le commandement d'un escadron et c'est le grand jour.
Vous réfléchissez
depuis des semaines à la tenue adéquate.
Vous optez pour la version
classique. Pas d'impair possible : pantalon noir de coupe droite et
veste blanche aux surpiqures assorties.
Première erreur.
Vous le réaliserez bien
assez tôt.
Vous embarquez l'héritier
et sa digne soeur dans votre voiture et prenez le volant.
L'Homme, parti bien avant vous, ne
vous a que vaguement indiqué comment vous rendre sur les
lieux.
- Bon, pensez-vous, je vais devoir
faire bonne impression.
Vous voici face à la
guérite d'entrée du régiment.
Vous avez toujours été
un peu impressionnée par cet univers essentiellement
masculin... mais, bien-sûr, ne l'avez jamais laissé
paraître, vous composant un air vaguement blasé.
Là, un homme en grand
uniforme se tient près de la barrière.
Il vous aperçoit et vous
adresse un superbe salut militaire. La barrière s'ouvre.
Vous vous dites TRES naïvement
:
- Il doit savoir qui je suis pour
me saluer de la sorte.
Votre petite poitrine se gonfle de
fierté et, l'oeil légèrement humide vous pensez
à la noble tâche de votre mari bien-aimé.
Deuxième erreur.
Vous apprendrez, quelque temps
plus tard, que tous les matins et tous les soirs, un militaire est en
faction devant la fameuse barrière. Il salue exactement chaque
voiture pénétrant dans le régiment, sans
distinction.
Vous vous félicitez alors
de n'avoir parlé à personne de votre précédente
réflexion, hautement pertinente et, rouge de confusion,
ravalez votre amour-propre quelque peu malmené.
Vous arrivez enfin sur les lieux,
un peu intimidée. Vous êtes en retard.
Echanges de cadeaux,
congratulations, et discours s'enchaînent devant un paterre
d'officiels impressionnant.
Tout à coup, roulements de
tambours.
Ils sont une vingtaine.
Wallisiens, Mélanésiens, Kanaks, que des hommes, des
soldats. Sous vos yeux ébahis ils s'approchent de l'Homme,
poussant des cris rauques. Leurs énormes bras labourent leur
poitrine virile sur des rythmes guerriers. Vous, bien cachée
derrière un gros pilier, vous vous faites toute petite et ne
perdez pas une miette de la scène. Le torse nu (pas vous! les
militaires!!), sanglé de grandes feuilles de bananiers
séchées, ils dansent le soamako, une tradition
futunienne. D'autres donnent la cadence. Ils tapent vigoureusement
sur leur fala (traduction pour les néophytes : tambour). Un
bas de treillis et des rangers parachèvent leur curieuse tenue
militaro-exotique. Ces danses guerrières vous font froid dans
le dos.
Le tableau est saisissant, le
bruit assourdissant... mais, malgré tout, vous constatez une
nette augmentation des décibels provenant de votre flanc
droit.
Votre fille hurle. Elle est
tétanisée. Tout en la morigénant, vous tentez de
la rassurer, peine perdue.
Vous êtes rouge, échevelée
(exit votre coiffure savamment arrangée).
A cet instant, la danse prend fin
(votre fille braille toujours, vous la bâillonnez comme vous
pouvez).
Vous comprenez alors votre
première erreur : en consolant votre chère cadette,
elle a maculé votre belle veste blanche (!!!!!! d'où
l'erreur) de latérite. Cette fameuse terre incarat, qui laisse
des traces indélébiles sur les vêtements!
Lamentable constat général.
Vous entendez alors une voix
forte:
- Où est la Mama?
Vous vous retournez, intriguée.
- Elle est où la Mama?
répète-t-on, haussant la voix avec un soupçon
d'agacement.
Qui a l'outrecuidance d'être
en retard?
Tout à coup le doute
s'empare de votre petite personne tandis que les regards semblent
converger vers vous...
Oh non!
Vous repasser alors une main
nerveuse dans vos cheveux. Il semblerait que la Mama, ce soit vous.
(curieux, pas tout à fait l'image que vous vouliez donner...)
Vous laissez en plan vos deux
braillards et devenez l'objet de toutes les attentions. (ce n'était
pas prévu, ça!) On vous offre gentillement une superbe
composition florale dont vous ne savez que faire. Superbe mais
encombrant.
On vous affuble alors du
traditionnel chapeau tressé en feuilles de cocotiers...( non,
merci, rien à voir avec les «chapeaux de paille»,
surnom des forçats français envoyés en Calédonie
dès 1864!!). Trop petit. Juché au sommet de votre tête,
il vous donne une allure étrange mais vous restez très
digne et tentez d'oublier les démangeaisons qu'il vous inflige
en souriant de toutes vos dents.
L'accueil est chaleureux mais vous
êtes tellement intimidée.
Ne sachant quelle attitude
adopter, vous décidez brusquement de regagner votre place, au
risque de vous étaler pesamment sur l'aréopage présent.
Côté discrétion, c'est râté.
Cocktail et petits fours ponctuent
la matinée.
L'héritier apprécie
tellement qu'il mastique des heures durant le même volumineux
morceau. Pas facile pour les bonjours aux personnes respectables que
vous tentez vainement d'arracher à sa bouche obstruée
(les bonjours... pas les personnes!), à grand renfort
d'oeillades furibardes.
La chose militaire fait désormais
partie intégrante de votre vie, votre quotidien va changer.
Vous
vivez dans un camp, les uniformes font loi. Va falloir s'y faire.
Vous
êtes, par exemple, ravie que votre courrier passe entre les
mains de tout le régiment avant les vôtres ( .... et que
tout le monde sache vous êtes abonnée à Feminin
psycho !!)
Ou
encore....
Un
jour, au petit matin, vous devez vous acquitter d'une course aussi
indispensable qu'urgente. Le prochain point de ravitaillement est à
des kilomètres (vous êtes dans la brousse!). Cela tient
parfois plus du parcours du combattant que de la promenade de santé.
Vous désiriez à tout
prix des tomates?
- Ah, on est en rupture de stock.
Il vous fallait des salades?
- Après les fortes pluies,
vous ne risquez pas d'en trouver.
Vous vouliez des yahourts
(d'ailleurs excessivement chers)?
- Disons qu'on a eu un petit
problème avec le fournisseur et....
Les enfants ont besoin de lait?
....fgrrgzrggklgjklg (les vaches
sont en grêve?)
Bref, avec tout cela, il vous
manque la moitié des denrées nécessaires et vous
regardez votre montre : 8h32. Vous avez un rendez-vous impératif
à 8h30, à l'intérieur du camp. Or à
l'entrée du régiment (passage obligé pour
regagner vos pénates et accéder au camp), un soldat
s'interpose. D'un geste sans équivoque il vous fait arrêter.
- Madame, il faut attendre, vous
adjure-t-il.
Des hommes interdisent l'accès
au camp. Vous ne pouvez plus rentrer chez vous et ... bon, dire que
vous étiez pressée.
Sous vos yeux étonnés
se déroule alors une immuable tradition : la «cérémonie
des couleurs». Les militaires honorent le drapeau français
tout en chantant l'hymne national, au garde à vous. Votre
patriotisme refait soudainement surface. L'émotion vous
étreint .... jusqu'à ce que vous réalisiez qu'il
va falloir désormais composer avec ce genre de cérémonial
(quotidiennement!!) et l'intégrer à votre emploi du
temps. Pas l'habitude... Un peu raide sur votre siège (heu..
le garde à vous, c'est pour tout le monde ?), vous patientez.
15mn plus tard, franchement échauffée, vous redémarrer, priant pour que vous n'ayez jamais d'enfant à conduire aux urgences à ce moment-là!
Passation de commandement,
cérémonie des couleurs, camp militaire.
Vous n'avez encore rien
vu...........
Vous êtes expatriée.
Retravailler n'est pas chose facile du fait de la «préférence
nationale».
S'est donc mise en place une sorte
«d'économie souterraine militaire pour femmes»:
les clubs.
Vous sentez que votre présence
serait bien vue mais les savoirs dispensés sont aussi manuels
que vous êtes gauche:
Peinture sur porcelaine? pas assez
minutieuse.
Couture? pas assez patiente.
Aquarelle? pas assez artiste.
Sable coloré? pas assez,
créative.
Vous avez donc le devoir (si,si)
de faire montre de votre bonne foi. Motivée, vous décidez
joyeusement d'organiser un petit déjeuner, chez vous, pour
toutes les compagnes de ceux qui oeuvrent avec l'Homme (ils sont tout
de même 110).
La meilleure façon de faire
passer un message, en l'occurrence une invitation, reste le téléphone
ou internet (mais vous ne disposez pas de toutes les adresses). On
vous fournit donc une liste approximative de numéros de
téléphone. N'y figurent pas toujours les noms des dites
compagnes, vous trouvez déjà cela suspect... (ah, si
vous aviez su!)
Après quelques appels
infructueux...
- Allo? Interroge une voix
masculine.
- Allo, bonjour, je suis la femme
du capitaine et je voulais savoir si votre femme serait disponible
pour venir....etc
- ......
(heu,
je n'ai peut-être pas été très claire?)
- Votre femme pourrait être
intéressée?
- Je n'ai personne dans ma vie. (le
ton est triste à mourir).
Eh voilà, vous vous disiez
bien que ça sentait le roussi. Confuse, vous bafouillez:
- Vraiment excusez-moi. La liste
que l'on m'a donnée doit être erronnée
(gfsskjhtskhksjg) Pardonnez-moi pour cette mépr...Vous n'avez pas le temps de finir
votre phrase. Il vous coupe, plein d'espoir:
- En revanche, si vous me trouviez
quelqu'un... parce que vous savez, c'est pas facile ici et puis...
V'la autre chose, on ne vous
avait pas dit que vous deviez aussi faire agence matrimoniale!
Vous tentez maladroitement de
couper court, extrêmement gênée ... et maudissez
la liste!
Les 15 appels suivants se
déroulent bien. Vous reprenez confiance.
- Allo?
- Allo
(encore
une voix masculine
!!)
Désormais rôdée,
vous expliquez :
- Bonjour, je suis la femme de
votre capitaine et je voulais savoir si votre femme serait
disponible pour....etc
- ....
Ce
n'est quand même pas celui de tout à l'heure!!
- Heu, vous travaillez bien pour
.... ?
- Oui, tout à fait.
Oh, je ne le sens pas, mais
alors, pas du tout...
- Vous pensez que l'idée du
petit déjeuner pourrait la tenter?
Votre
fragile assurance diminue au fur et à mesure des hésitations
de votre interlocuteur.
- Ah, mais ça va pas être
possible.
Bon, si sa femme ne peut pas
venir, c'est dommage, bien-sûr. Vous essayez de creuser un
peu...
- Peut-être 8h30 ne
convient-il pas?
- Oui, c'est ça.
Vous
notez déjà cet élément pour les
prochaines fois. Vous essayerez de changer d'heure ou de proposer un
dîner, par exemple.
... mais il poursuit:
- JE suis de permanence au poste de sécurité à cette
heure-là, ce n'est pas commode.
- ....
Cette fois, c'est moi qui suis
sans voix.
!!!!!! Au secours!!! mais
qu'a-t-il compris?!!!
Restons très calme. En clair, il pense que la femme de son chef l'invite, seul, chez elle, pendant les heures de service et pendant que son mari se tue à la tâche.
Comment
vais-je me sortir de cet abominable merdier??
Vous bégayez:
- Non,
non, mais je, je, je crois qu'on ne s'est pas compris du flou
(vous en bredouillez), heu, du tout
.
Vous tentez alors une explication embrouillée.
- Ce
petit déjeuner est destiné aux femmes, enfin aux
hommes peut-être aussi puisque que je veux dire (ah,
là, là!)
que c'est pour les compagnes ou peut-être compagnons de ceux
ou celles qui travaillent à l'escadron...etc (je
m'enfonce désespéremment...)
- Bon, bon, vous répond-on.
Vous ignorez si votre
interlocuteur a compris un traître mot de vos bafouilles
confuses.
En raccrochant vous êtes
partagée entre l'envie de rire... et le sentiment d'avoir
commis une grosse bévue.
Vous optez pour la première solution et vous esclaffez ... la prochaine fois, vous vous promettez de vous organiser autrement. D'une manière ou d'une autre, vous récupérerez les précieuses adresses internet, vous en faites le serment!!! Le téléphone, c'est fini!