Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
exil86m10
exil86m10
11 mars 2008

Chapitre 4 : Manue Militari

L'Homme, militaire de son état, prend le commandement d'un escadron et c'est le grand jour.
Vous réfléchissez depuis des semaines à la tenue adéquate.
Vous optez pour la version classique. Pas d'impair possible : pantalon noir de coupe droite et veste blanche aux surpiqures assorties.
Première erreur.
Vous le réaliserez bien assez tôt.
Vous embarquez l'héritier et sa digne soeur dans votre voiture et prenez le volant.
L'Homme, parti bien avant vous, ne vous a que vaguement indiqué comment vous rendre sur les lieux.
- Bon, pensez-vous, je vais devoir faire bonne impression.
Vous voici face à la guérite d'entrée du régiment.CDT_EBM
Vous avez toujours été un peu impressionnée par cet univers essentiellement masculin... mais, bien-sûr, ne l'avez jamais laissé paraître, vous composant un air vaguement blasé.
Là, un homme en grand uniforme se tient près de la barrière.
Il vous aperçoit et vous adresse un superbe salut militaire. La barrière s'ouvre.
Vous vous dites TRES naïvement :
- Il doit savoir qui je suis pour me saluer de la sorte.
Votre petite poitrine se gonfle de fierté et, l'oeil légèrement humide vous pensez à la noble tâche de votre mari bien-aimé.
Deuxième erreur.
Vous apprendrez, quelque temps plus tard, que tous les matins et tous les soirs, un militaire est en faction devant la fameuse barrière. Il salue exactement chaque voiture pénétrant dans le régiment, sans distinction.
Vous vous félicitez alors de n'avoir parlé à personne de votre précédente réflexion, hautement pertinente et, rouge de confusion, ravalez votre amour-propre quelque peu malmené.

Vous arrivez enfin sur les lieux, un peu intimidée. Vous êtes en retard.
CDT_EBMEchanges de cadeaux, congratulations, et discours s'enchaînent devant un paterre d'officiels impressionnant.
Tout à coup, roulements de tambours.
Ils sont une vingtaine. Wallisiens, Mélanésiens, Kanaks, que des hommes, des soldats. Sous vos yeux ébahis ils s'approchent de l'Homme, poussant des cris rauques. Leurs énormes bras labourent leur poitrine virile sur des rythmes guerriers. Vous, bien cachée derrière un gros pilier, vous vous faites toute petite et ne perdez pas une miette de la scène. Le torse nu (pas vous! les militaires!!), sanglé de grandes feuilles de bananiers séchées, ils dansent le soamako, une tradition futunienne. D'autres donnent la cadence. Ils tapent vigoureusement sur leur fala (traduction pour les néophytes : tambour). Un bas de treillis et des rangers parachèvent leur curieuse tenue militaro-exotique. Ces danses guerrières vous font froid dans le dos.
Le tableau est saisissant, le bruit assourdissant... mais, malgré tout, vous constatez une nette augmentation des décibels provenant de votre flanc droit.
Votre fille hurle. Elle est tétanisée. Tout en la morigénant, vous tentez de la rassurer, peine perdue.
Vous êtes rouge, échevelée (exit votre coiffure savamment arrangée).
A cet instant, la danse prend fin (votre fille braille toujours, vous la bâillonnez comme vous pouvez).
Vous comprenez alors votre première erreur : en consolant votre chère cadette, elle a maculé votre belle veste blanche (!!!!!! d'où l'erreur) de latérite. Cette fameuse terre incarat, qui laisse des traces indélébiles sur les vêtements!
Lamentable constat général.
Vous entendez alors une voix forte:
- Où est la Mama?
Vous vous retournez, intriguée.
- Elle est où la Mama? répète-t-on, haussant la voix avec un soupçon d'agacement.
Qui a l'outrecuidance d'être en retard?
Tout à coup le doute s'empare de votre petite personne tandis que les regards semblent converger vers vous...
Oh non!
Vous repasser alors une main nerveuse dans vos cheveux. Il semblerait que la Mama, ce soit vous. (curieux, pas tout à fait l'image que vous vouliez donner...)
CDT_EBMVous laissez en plan vos deux braillards et devenez l'objet de toutes les attentions. (ce n'était pas prévu, ça!) On vous offre gentillement une superbe composition florale dont vous ne savez que faire. Superbe mais encombrant.
On vous affuble alors du traditionnel chapeau tressé en feuilles de cocotiers...( non, merci, rien à voir avec les «chapeaux de paille», surnom des forçats français envoyés en Calédonie dès 1864!!). Trop petit. Juché au sommet de votre tête, il vous donne une allure étrange mais vous restez très digne et tentez d'oublier les démangeaisons qu'il vous inflige en souriant de toutes vos dents.
L'accueil est chaleureux mais vous êtes tellement intimidée.
Ne sachant quelle attitude adopter, vous décidez brusquement de regagner votre place, au risque de vous étaler pesamment sur l'aréopage présent. Côté discrétion, c'est râté.
Cocktail et petits fours ponctuent la matinée.
L'héritier apprécie tellement qu'il mastique des heures durant le même volumineux morceau. Pas facile pour les bonjours aux personnes respectables que vous tentez vainement d'arracher à sa bouche obstruée (les bonjours... pas les personnes!), à grand renfort d'oeillades furibardes.
La chose militaire fait désormais partie intégrante de votre vie, votre quotidien va changer.
Vous vivez dans un camp, les uniformes font loi. Va falloir s'y faire.
Vous êtes, par exemple, ravie que votre courrier passe entre les mains de tout le régiment avant les vôtres ( .... et que tout le monde sache vous êtes abonnée à
Feminin psycho !!)
Ou encore..
..

im7Un jour, au petit matin, vous devez vous acquitter d'une course aussi indispensable qu'urgente. Le prochain point de ravitaillement est à des kilomètres (vous êtes dans la brousse!).  Cela tient parfois plus du parcours du combattant que de la promenade de santé.
Vous désiriez à tout prix des tomates?
- Ah, on est en rupture de stock.
Il vous fallait des salades?
- Après les fortes pluies, vous ne risquez pas d'en trouver.
Vous vouliez des yahourts (d'ailleurs excessivement chers)?
- Disons qu'on a eu un petit problème avec le fournisseur et....
Les enfants ont besoin de lait?
....fgrrgzrggklgjklg (les vaches sont en grêve?)
Bref, avec tout cela, il vous manque la moitié des denrées nécessaires et vous regardez votre montre : 8h32. Vous avez un rendez-vous impératif à 8h30, à l'intérieur du camp. Or à l'entrée du régiment (passage obligé pour regagner vos pénates et accéder au camp),  un soldat s'interpose. D'un geste sans équivoque il vous fait arrêter.
- Madame, il faut attendre, vous adjure-t-il.
Des hommes interdisent l'accès au camp. Vous ne pouvez plus rentrer chez vous et ... bon, dire que vous étiez pressée.
Sous vos yeux étonnés se déroule alors une immuable tradition : la «cérémonie des couleurs». Les militaires honorent le drapeau français tout en chantant l'hymne national, au garde à vous. Votre patriotisme refait soudainement surface. L'émotion vous étreint .... jusqu'à ce que vous réalisiez qu'il va falloir désormais composer avec ce genre de cérémonial (
quotidiennement!!) et l'intégrer à votre emploi du temps. Pas l'habitude... Un peu raide sur votre siège (heu.. le garde à 002vous, c'est pour tout le monde ?), vous patientez.

15mn plus tard, franchement échauffée, vous redémarrer, priant pour que vous n'ayez jamais d'enfant à conduire aux urgences à ce moment-là!

Passation de commandement, cérémonie des couleurs, camp militaire.
Vous n'avez encore rien vu...........
Vous êtes expatriée. Retravailler n'est pas chose facile du fait de la «préférence nationale».
S'est donc mise en place une sorte «d'économie souterraine militaire pour femmes»: les clubs.
Vous sentez que votre présence serait bien vue mais les savoirs dispensés sont aussi manuels que vous êtes gauche:
Peinture sur porcelaine? pas assez minutieuse.
Couture? pas assez patiente.
Aquarelle? pas assez artiste.
Sable coloré? pas assez, créative.
Vous avez donc le devoir (si,si) de faire montre de votre bonne foi. Motivée, vous décidez joyeusement d'organiser un petit déjeuner, chez vous, pour toutes les compagnes de ceux qui oeuvrent avec l'Homme (ils sont tout de même 110).

La meilleure façon de faire passer un message, en l'occurrence une invitation, reste le téléphone ou internet (mais vous ne disposez pas de toutes les adresses). On vous fournit donc une liste approximative de numéros de téléphone. N'y figurent pas toujours les noms des dites compagnes, vous trouvez déjà cela suspect... (ah, si vous aviez su!)
Après quelques appels infructueux...
- Allo? Interroge une voix masculine.
- Allo, bonjour, je suis la femme du capitaine et je voulais savoir si votre femme serait disponible pour venir....etc

- ......
(
heu, je n'ai peut-être pas été très claire?)
- Votre femme pourrait être intéressée?

- Je n'ai personne dans ma vie.
(le ton est triste à mourir).
Eh voilà, vous vous disiez bien que ça sentait le roussi. Confuse, vous bafouillez:

- Vraiment excusez-moi. La liste que l'on m'a donnée doit être erronnée (gfsskjhtskhksjg) Pardonnez-moi pour cette mépr...
Vous n'avez pas le temps de finir votre phrase. Il vous coupe, plein d'espoir:
- En revanche, si vous me trouviez quelqu'un... parce que vous savez, c'est pas facile ici et puis...

V'la autre chose, on ne vous avait pas dit que vous deviez aussi faire agence matrimoniale!

Vous tentez maladroitement de couper court, extrêmement gênée ... et maudissez la liste!

Les 15 appels suivants se déroulent bien. Vous reprenez confiance.

 

- Allo?
- Allo (
encore une voix masculine !!)
Désormais rôdée, vous expliquez :

- Bonjour, je suis la femme de votre capitaine et je voulais savoir si votre femme serait disponible pour....etc

- ....

C
e n'est quand même pas celui de tout à l'heure!!
- Heu, vous travaillez bien pour .... ?

- Oui, tout à fait.

Oh, je ne le sens pas, mais alors, pas du tout...

- Vous pensez que l'idée du petit déjeuner pourrait la tenter?

  •  

Votre fragile assurance diminue au fur et à mesure des hésitations de votre interlocuteur.
- Ah, mais ça va pas être possible.

Bon, si sa femme ne peut pas venir, c'est dommage, bien-sûr. Vous essayez de creuser un peu...

- Peut-être 8h30 ne convient-il pas?

- Oui, c'est ça.

Vous notez déjà cet élément pour les prochaines fois. Vous essayerez de changer d'heure ou de proposer un dîner, par exemple.

... mais il poursuit:

- JE
 suis de permanence au poste de sécurité à cette heure-là, ce n'est pas commode.
- ....

  •  

Cette fois, c'est moi qui suis sans voix.
!!!!!! Au secours!!! mais qu'a-t-il compris?!!!

 

Restons très calme. En clair, il pense que la femme de son chef l'invite, seul, chez elle, pendant les heures de service et pendant que son mari se tue à la tâche.

 

Comment vais-je me sortir de cet abominable merdier??
Vous bégayez:

- Non, non, mais je, je, je crois qu'on ne s'est pas compris du 
flou (vous en bredouillez), heu, du tout .

  •  

Vous tentez alors une explication embrouillée.

 

- Ce petit déjeuner est destiné aux femmes, enfin aux hommes peut-être aussi puisque que je veux dire (ah, là, là!) que c'est pour les compagnes ou peut-être compagnons de ceux ou celles qui travaillent à l'escadron...etc (je m'enfonce désespéremment...)
- Bon, bon, vous répond-on.

Vous ignorez si votre interlocuteur a compris un traître mot de vos bafouilles confuses.

En raccrochant vous êtes partagée entre l'envie de rire... et le sentiment d'avoir commis une grosse bévue.

 

Vous optez pour la première solution et vous esclaffez ...  la prochaine fois, vous vous promettez de vous organiser autrement. D'une manière ou d'une autre, vous récupérerez les précieuses adresses internet, vous en faites le serment!!! Le téléphone, c'est fini!



Publicité
Commentaires
N
je comprends ... je comprends ...<br /> certains aspects me sont familiers pour avoir vécu, dans mon enfance, dans ce milieu militaire ...<br /> je reviens pour la suite ... à bientôt,
Publicité
Archives
Derniers commentaires
Publicité