Chapitre 6 : bigoudis en folie
Pour vous remettre de vos
émotions, rien de tel qu'une petite séance chez le
coiffeur.
Tout comme le courrier, le marché,
la bibliothèque, etc, la coiffeuse se trouve... dans le camp.
Bon, vous arrivez en retard
(toujours pas intégré le lever des couleurs dans le
planning!!) et bien moche (depuis quand arrive-t-on chez le coiffeur
déjà «brushée»?).
Racines
adipeuses, délicieusement brunes, contrairement au reste de
votre blonde chevelure. Eh oui, c'est dit, vous êtes une FAUSSE
blonde qui vit (très) mal la terrible humidité
tropicale ambiante. Entre le bichon maltais et le caniche, vos
pitoyables frisettes vous font ressembler, à
une créature canine hybride inédite.
Pourtant, on vous accueille comme
une princesse.
- Alors, qu'est-ce qu'on leur fait?
Un «flash», comme d'habitude? On rafraîchit les
racines?
- Parfait.
Vous vous abandonnez aux mains
expertes et savourez ces instants de délice.
Après le badigeonnage, les
mêches sont recouvertes de multiples feuilles de papier
aluminium en couches régulières.
- Pour que la couleur prenne bien.
S'il faut ça... En sapin de
noël futuriste, vous feriez fureur!
Vous contemplez votre reflet.
Sourire niais. Heureusement que personne ne vous voit dans ce
lamentable état.
A cet instant exact, la porte du
salon s'ouvre brutalement:
- On avait dit demain pour la coupe
militaire mais j'ai un empêchement. Pouvez pas me prendre, par
hasard?
Grand,
port de tête altier, démarche assurée, un homme à
l'uniforme impeccable vient d'entrer dans le salon aux vitres sans
teint
(détail très important!! vous aviez misé sur
l'effet à-l'abri-des-regards!)
Vous
vous enfoncez profondément dans votre siège et tentez
de vous dissimuler derrière un Paris
Match
de novembre 1998 (viennent
par bateau et tout et tout, faut le temps... Vous apprendrez
vraisemblablement le mariage de Nicolas Sarkozy avec Carla au moment
de leur divorce!!)
N'a pas l'air de vous avoir
remarquée. Ouf.
- Vous avez eu le temps d'écrire
l'article pour demain?
- ...
Et voilà... non seulement
le subterfuge n'a pas fonctionné, mais en plus il va vous
trouver terriblement grossière de ne pas l'avoir salué...
- Je
vous l'envoie par mail... répondez-vous en hôchant la
tête (vos
papillottes dansent la samba), atrocement gênée.
Le rédacteur en chef du
journal du camp (eh oui, ils ont même leurs propres organes de
presse!!) s'enquiert de votre papier...
- Quel accueil la tribu vous
a-t-elle réservé?
- Charmant, les femmes m'ont montré
leurs ateliers de tressage (feuilles de palmiers), expliqué
le droit coutumier...etc
Pas d'échappatoire. Vous
offrez impudiquement vos cheveux huileux aux yeux de l'interlocuteur.Vous vous imaginez, vous, bigoudis
sur la tête, en train de parler boulot avec votre patron?
Pas simple de garder contenance.
Vous, cramoisie, tentant de
conserver un peu d'assurance.
Lui,
très poli, comportement normal,
un poil (!) supérieur.(Vous en déduisez donc que
si un jour, vous vous faisiez raser la tête, à
l'exception d'un petit palmier vert au milieu du crâne,
PERSONNE, ne vous dirait rien!)
Heureusement, la «coupe
mili» est généralement rapide.
Vous voyez venir la fin de votre
«supplice».
Petit signe du menton (votre
échaffaudage savant menace...) :
- A bientôt!
Vous vous retrouvez de nouveau
seule, avec Veronica.
- On va passer au bac.
Et de vous exécuter,
docilement.
- Tu as eu le temps de visiter la
Calédonie depuis ton arrivée? vous interroge-t-elle.
- Un
peu, nous avons, notamment pu découvrir Lifou. Superbe! Cette
île loyauté est un petit bijou de verdure dans un écrin
turquoise...
A cette pensée vous revient
un souvenir nettement plus, comment dire, rocambolesque...Voilà déjà
quatre jours que vous explorez l'immense platier de corail sous des
trombes d'eau.
Aujourd'hui, c'est Foire des îles.
Inauguration grandiose. Danses.
Discours. Danses. Discours. Danses. Discours. Danses... Votre
époux bien-aimé vous offre une superbe robe mission
bleue (deviendra grise au premier lavage)
que vous arborrez fièrement.Seule ombre au tableau: il
semblerait que votre cadette fasse les frais du climat tropical.
L'humidité malmène sa petite santé...39.5°, gémissements,
yeux hagards.Pas question de laisser
traîner.Vous vous mettez en quête d'un médecin.
Premier dispensaire, à Mu. Une inscription indique «le
médecin consultera le 5 novembre.» Très bien ...
sauf que vous êtes le 15 septembre.Votre fille aura eu le temps
de creuver dix fois sous vos yeux d'ici là !
Deuxième dispensaire, à
Drueulu (ça ne s'invente pas!).
Personne. On peut y lire :
Bien. Il est midi. C'est samedi.
Inspiration profonde. Vous fermez
les yeux un court instant. (Si, si, vous êtes tout à
fait calme.)
Votre fille, hébétée,
ne prononce plus que quelques monosyllabes quasi inaudibles.
L'héritier a faim et le
fait clairement comprendre.
Votre époux bien aimé
s'impatiente.....