Chapitre 10 : rencontre du troisième type
Pour
vous «venger», vous lui laissez enfants et maison et
partez deux jours à l'île des Pins (endroit paradisiaque
s'il en est), avec votre amie, Stéphanie, venue de métropole. D'une
blondeur divine, le visage creusé de délicieuses
fossettes. Une peau dorée à souhait qui souligne la
malice de ses yeux. Elle est superbe.
Quand
vous vous êtes rencontrée, une quinzaine d'années
plus tôt, en pleine adolescence, elle arborait un magnifique
appareil dentaire (presque aussi beau que le vôtre, qui, lui,
était agrémenté d'affreux élastiques
jaunes, laissant supposer que vous ignoriez l'existence des brosses à
dent!), une peau couverte d'acné (faisiez un concours, on vous
appelait «les calculatrices») et de longs bras inutiles
(les vôtres étaient trop courts). D'un air veule, elle
rajustait sans cesse sa paire de lunettes triple foyer en plissant
nerveusement le nez.
A
l'époque, vous êtes persuadées que la gente
masculine entière vous en veut.
Une
solide complicité en naîtra.
Sa
personnalité si attachante, parfois même un peu ingénue,
sa pétulance et ses idées saugrenues achèveront
de vous séduire.
Vous
ne vous séparerez plus.
Arrivées à la première heure, vous prévoyez un programme 100% touristique: pirogues, piscine...etc.
Rien ne se passe comme prévu.
A la descente de l'avion, un taxi vous attend. Mini-bus blanc, conducteur jovial, en claquettes. Vous prenez place. Dernière banquette (un vieux truc de votre enfance: dans les bus scolaires, être au fond était une question d'honneur [et surtout la meilleure façon de faire les andouilles sans être vus!]. Or vous vous retrouviez toujours devant, à côté du conducteur [honte suprême] à cause du mal des transports. Grotesque frustration pré-pubère que Stéphanie vous rappelle sournoisement dans un éclat de rire. Riez aussi.)
Une
fois les autres passagers installés, votre chauffeur Kanak se
tourne vers vous et annonce tout de go, d'un ton placide:
- Les
pirogues sont déjà parties.
- Comment?
Sans nous? (vous qui pensiez avoir tout prévu!)
- Mais
nous devions embarquer ce matin à la descente de l'avion!
ajoute Stéphanie.
Devant
nos mines désappointées, il cherche une solution.
Et
trouve.
- Eh
bien, vous vous rendrez directement sur la plage où elles
doivent mouiller. De là, elles vous prendront.
Toutes
ragaillardies, vous projetez d'attendre sagement l'arrivée des
embarcations sur la dite plage.
- Vous
pouvez nous y déposer?
Votre
interlocuteur vous observe, amusé. Visiblement, vous avez tout
des touristes un peu écervelées (blondes qui plus est).
- Impossible,
elle n'est pas accessible par la route.
Ça se complique.
- Vous
devrez juste marcher «un peu» dans la forêt,
réplique-t-il avec bonhomie.
Oh,
si ce n'est que ça...Cela
ne vous effraie pas (votre 6ème sens est de nouveau en berne).
Les randonnées, vous connaissez (combien de dimanches, enfant,
vous avez joyeusement pataugé dans la boue des forêts
ardennaises, parce qu'il fallait «prendre l'air»!!).
- Par
où devons-nous passer? Interrogez-vous tout de même.Il
répond un sempiternel «là-bas» - toujours
le même mouvement du bras, imprécis mais indiscutable -
et vous voilà seules, avec vos sacs à dos (pèsent
une tonne, enfin, le minimum vital pour une journée filles,
quoi...). N'avez pas de boussole et on connaît votre sens de
l'orientation..
Eh
bien, vous n'avez plus qu'à vous lancer. Un chemin s'ouvre
sous vos pas. Banzaï!
C'est
tout juste si, amazones aguerries (le sein droit en plus!), vous
n'êtes pas armées de sagaies, en train de partir chasser
la roussette (chauve-souris/plat de fête)
en brousse.
Vous
pouffez comme des collégiennes, riez de tout... et vous
enfoncez dans une végétation dense, voire un peu
hostile.
Premier
embranchement.
A
droite ou à gauche?
- Sûrement
à droite. Go.
Tout
faux (avez fumé ou quoi? Savez bien que votre intuition
topographique est proche de zéro!! ). Les arbres se
resserrent, les bruits se font de plus en plus étouffés.
Vous avez le sentiment de pénétrer un lieu que vous ne
devriez pas fouler. Votre belle humeur en prend un coup.
Nouvel
embranchement.
Pas
âme qui vive.
Sous
les rires et les blagues potaches, aucune ne veut avouer à
l'autre ses doutes. Bah, on va bien trouver...
Cette
fois, vous tournez à gauche, résolument.
Puis
votre conviction... se délite au fur et à mesure que
s'égrainent les minutes. Le chemin vous semble davantage
tracé, oui, mais la progression dure depuis maintenant une
demi-heure et toujours pas de plage à l'horizon.
Pas
grave, allez. Vous tentez de reprendre vos babillages et continuez
votre route. Stéphanie part alors dans une diatribe sur votre
cher professeur d'anglais que vous faisiez délicieusement
enrager (les cerises écrabouillées dans son sac,
c'était vous!)... quand elle s'arrête. Brusquement.
Des
grognements plaintifs s'élèvent de part et d'autre du
sentier, à intervalles réguliers.
- Tu
as entendu? S'alarme Stéphanie.
- Ah,
là, là, la trouillarde! Ce n'est sûrement rien
du tout, alléguez-vous, mi-amusée, mi-(secrètement)
inquiète. Un petit animal sans doute.
Vous
changez de sujet et arguez, pour la rassurer, de votre courage inouï
face à l'énorme (si, si) scolopendre que vous aviez
rencontré lors de votre installation (omettez subrepticement
l'épisode du Décap'four. Pas assez héroïque!).
Les
grognements se rapprochent. Vous perdez un peu de votre superbe. Avez
l'air «fin maline»
maintenant. Quelle idée de vouloir faire la brave!!
Et
puis, ça vous rappelle de mauvais souvenirs ... un jour de
décembre, lors d'une de vos promenades familiales, vous aviez
été assaillie par un marcassin affolé. Aviez à
peine eu le temps de vous réfugier piteusement dans le premier
arbre venu de cette sylve hostile, maudissant votre agresseur.
Toute
à vos méditations, vous vous taisez depuis cinq bonnes
minutes.
Finalement,
qui vous dit que vous avez emprunté la bonne direction?
Ruminez-vous.
Votre
marche se fait plus lente, hésitante.
Stéphanie,
que votre pamphlet sur les scolopendres n'a pas sécurisée
(ne pas oublier qu'elle vous connaît depuis quelques années
tout de même), a du mal à dissimuler son appréhension.
- Grouin,
grouin, mugit-on derrière d'épais buissons.
Retenant
votre respiration, vous ne savez que faire. Continuer? Crier
(facile)? Marcher sans bruit?
La
végétation de la mangrove,
touffue, laisse peu percevoir le soleil.
Vous
avancez à l'aveugle.
- Je
sens une présence... là... toute proche.
Stéphanie
a la trouille et vous, vous paniquez.
- Allez,
on en a assez entendu. Vite, barrons-nous!
(eh
oui, encore et toujours la fuite)
Toute
votre bravoure s'est évanouie pour faire place à une
peur panique. (Revoyez votre marcassin, babines frémissantes,
lancé à vos trousses.)
Dans
votre superbe sprint retour, vous réalisez que vous avez perdu
en route vos lunettes de soleil (ah non! des Gucci!). Pas question de
les laisser là, quelque part dans la brousse! Vous partez donc
frénétiquement à leur recherche,
la tête enfouie dans les fourrés.
Pas
de lunettes.
Les
taillis sont vraiment très épais.
Mais,
mais... c'est vrai qu'on dirait qu'il y a quelqu'un... (Cheveux
hérissés, couverte d'égratignures, vous relevez
la tête...).
Vous
ne le savez pas encore mais vous vous préparez à une
sorte de rencontre du troisième type.
Sur
VOTRE (en vacances, vous avez l'impression que le monde vous
appartient)
île de rêve, aux eaux d'un bleu pur et sable immaculé,
là, à deux pas de vous, se trouvent ... des
GORETS.
Parfaitement,
un genre de... de parc à cochons.
Des
petits, des gros, des truies. Ils se roulent dans la fange avec une
joie non dissimulée et s'avancent vers vous, groin en avant.
Pendant
quelques instants (le temps que toutes ces informations atteignent
votre petit cerveau et qu'il les analyse, autant dire, un siècle),
vous restez pétrifiée. N'aviez, naïvement pas
imaginé un instant croiser des pourceaux en pleine nature, en
lieu et place de votre rivage de carte postale!
Les
spécimens, curieux, commencent à se rapprocher. Il est
temps de reprendre vos esprits, et vite.Inutile
de vous appesantir cent ans, à les regarder de cet air abruti,
pour peu qu'il y en ait un qui veuille vous dire bonjour d'un peu
trop près!
Et
votre amie qui se demande ce que vous fabriquez:
- Tu viens? Qu'est-ce-que tu as à rester plantée la
bouche ouverte?
Stéphanie
est venue. Stéphanie a vu. Stéphanie a couru, et du
plus vite qu'elle pouvait, suivie de près par vous, affolée
à l'idée que vous étiez touchée par la
malédiction des porcins (ben oui, après le marcassin,
quand même). Le
coeur palpitant après une course échevelée (plus
question de papoter gentiment), vous revoilà, penaudes...
...
au point de départ. Déconfiture.
Vous
vous octroyez alors un petit remontant (toujours un paquet de M&M's
dans le sac).
Et
les pirogues alors? Ce ne sont pas des petits cochons qui vont vous
décourager, hein? (ne teniez pas le même discours
quelques instants plus tôt!).
Vous
demandez alors, carrément, qu'on vous accompagne jusqu'au
commencement de la (VRAIE) piste.
Et
vous êtes enfin en route pour la baie d'Upi, un peu honteuse de
votre réaction (les porcs ont eu sûrement bien plus peur
que vous).
Les
rires sont un peu moins forts.
Les
discussions moins cabotines.
L'une
comme l'autre, n'arrêtez pas de butter sur les racines des
palétuviers qui sortent du sol, en quête d'une plage
dont vous vous demandez si elle existe vraiment. Le silence est
peuplé de cris d'oiseaux et autres animaux. Toujours personne.
Trois
quart d'heure de marche plus tard (soufflez comme des boeufs... avez
pas fait de sport depuis la naissance de votre cadette), il vous
semble apercevoir quelqu'un. On avance vers vous. Une femme.
- Ahhh,
laisse échapper Stéphanie (qui en a autant plein les
pieds que vous).
- Où
est la baie d'Upi, s'il vous plaît? (ton suppliant) vous
empressez-vous de questionner.
Elle
vous toise. Touriste japonaise. Jolie. Ultra tendance. Et ne
parle pas un mot de français (c'est bien votre veine).
- Don't
know, don't know. (accent japonais)
C'est
tout?
C'est
tout.
Mais
déjà, une autre silhouette se profile. Tous vos espoirs
fondent sur lui. Un homme.
Japonais
aussi
Il
semblerait, pourtant, que vous ayez plus de chance.
Même
question; réplique un petit peu plus informative:
- Arrivées
pirogues. Vous, continuez. Chemin tout droit... Plage. (re-accent
japonais...espérez avoir bien compris!)
- Plage
(n'avez
jamais autant aimé le mot)? Oh, merci, merci.
Eh
bien. ENFIN.
Heureusement
que vous avez demandé au gîte de prévenir le
frère du cousin du copain (vous
me suivez?) d'un de ceux qui naviguent sur les pirogues pour qu'il
vous attende! Simple en somme, non?
Non.
Un
doute vous traverse. Fulgurant.
Et
si le message n'était pas passé? Et si les embarcations
étaient déjà reparties, une fois leur cargaison
de touristes déposée?
Re-
sprint.
Manquez
de vous étalez une bonne quinzaine de fois.
Et
là, la plage, grandiose, sauvage et... désertique!!!
Vous
voyez bien les pirogues, leur coque, longue et étroite. Ah ça,
vous les voyez mais...
AU
LOIN.
Ne
vous ont pas attendues...
Deuxième
retour au point de départ.
Vous
arrivez harassées, exténuées, éreintées,
flapies, flagadas. Bref, folle
ambiance dans les rangs!
Il
va falloir toute l'originalité et la joie d'un bon dîner
roboratif traditionnel pour vous déridez.
Ça,
on peut dire qu'«ils» ont le sens de la fête ici...
et que la blonde Stéphanie ne laisse
pas indifférent...
Chapitre 9 :comment ça s'est vraiment passé
Clic.
La
radio de votre voiture se met à crépiter. Vous
tournez le bouton pour capter la bonne fréquence. La réception
est mauvaise.
- (Crrrr)
... assainir votre maison...
(crr) antiparasite... vous serez tranquille! Champion de la
dératisation! Vante une voix rocailleuse.
Comme
elle vendrait une nouvelle serpillère révolutionnaire,
cette publicité loue les mérites du dernier produit
contre les rats. Pas de doute, vous n'êtes pas en métropole...
Jingle.
- Et
voici les infos. En titre: la Calédonie en préalerte
cyclonique... (crrrr)
Tous
vos sens sont mobilisés vers le petit poste de votre tableau
de bord.
- Le
cyclone GENE a déjà causé la mort de 6
personnes aux îles Fidji et se rapproche dangereusement de la
Calédonie... poursuit le journaliste.
Levant
la tête vers le ciel, bas, les nuages vous semblent soudain extrêmement menaçants.Sinistre...
- Faites
des réserves d'eau, de nourriture, prévoyez des
provisions de bougies et lampes tempête...crrr.
Les
ondes se brouillent. Puis, plus rien. Vous vous acharnez... pas
moyen, le son est bel et bien coupé. Bon, réagir. Avant
de regagner votre maison en vitesse, constituer un stock
impressionnant de denrées indispensables à la survie de
votre petite famille. 30 minutes plus tard, parvenue au plus proche
commerce, vous vous ruez sur le rayon «eau minérale»
et en videz maladroitement la moitié, dans votre caddie...
sous l'oeil désapprobateur de certains consommateurs. Même
pillage au rayon droguerie, conserves... 3 boîtes de raviolis
dans chaque main... l'équilibre est précaire.
- Pensez
aux bougies! Un cyclone, ça peut durer...1, 2 voire 3 jours
..., entendez-vous.
Nouvelle
frénésie. Cette fois vous attaquez le coin petits pots
de bébés. Votre chariot regorge de produits en tout
genre... que, dans votre course, vous semez aux quatre coins du
magazin.
On
vous observe avec surprise. Certains affichent même une moue
condescendante.
Vous
avez la vague impression qu'on vous prend pour une acheteuse
compulsive au dernier degré ou une excentrique un peu fêlée.
Quoi?
«Ils» ont bien dit de s'approvisionner, non? Auriez-vous
vu un peu grand?
Il
vous faut maintenant aller à la «fontaine» où
de nombreuses personnes attendent de remplir leurs jerricanes. ERIKA
... ERIKA...Le nom du dernier cyclone dévastateur en Calédonie
est sur toutes les lèvres. La fièvre vous gagne...
Il
pleut désormais à verse. Rafales de vent. La tempête
joue aux quilles avec vos bouteilles... Les arbres se courbent dangereusement. Sémillante (dans le rôle de la
mère-courage-paniquée-ne-voulant-rien-montrer) mais
trempée (vos vêtements vous font une deuxième
peau), vous lancez joyeusement à votre progéniture,
arnachée à l'arrière du break:
- On
rentre jouer à la maison.
Au
bord de la route, les cours d'eau sortent furieusement de leur lit.
Le ciel s'obscurcit de plus en plus. La mer s'agite et se
creuse...Vous n'en menez pas large et abordez lentement les lacets
montagneux. Votre vision est de moins en moins bonne. Les yeux
plissés, vous tentez de distinguer votre chemin. Les
essuie-glaces ne servent plus à grand chose. Votre conduite
(30 km/heure) ressemble de plus en plus à celle de votre
grande tante Ursula, 75 ans...Vous ne vous moquerez plus JAMAIS.
Arrivée
à votre «villa», vous déchargez prestement
votre coffre, sous des trombes d'eau. Vos cheveux dégoulinent,
vous ruisselez.
L'homme
est dans le salon. Il vous attend,calme (et sec!).
- Chérie,
il faut que je t'explique.
- Ouiiiiiii...
répondez-vous, aussi guillerette que possible.
- Il
est 18h. La tempête s'intensifie. Je vais devoir partir au
régiment. Nous sommes mobilisés.
- ...
- On
doit tout prévoir pour venir en aide aux populations, après
le passage de GENE.
Apparemment,
vous ne faites pas partie des dites «populations» ...
vous, vous pouvez crever chez vous, tout le monde s'en moque. (quoi?
Vous, ingrate?... bon, admettons)
- Très
bien, je comprends (enfin, pas le choix)... mais et nous?
Risquez-vous tout de même.
- Oh,
rien de particulier. Restez bien dans la maison, sans sortir... Ah,
si, il faudrait fixer une planche sur la porte d'entrée (en
verre!) au cas où des projectiles l'atteindraient. Avec la
force du vent, ils pourraient la briser (perspective
enthousiasmante).
- Une
planche, une planche, ... on a ça ici?
- Oui,
oui, tu va bien trouver. Bon, ben voilà, c'est tout.
Vos
neurones font un sprint. Penser à tout...
- Mais
... et la porte du garage qui ne ferme plus depuis 6 mois?
Haussement
d'épaules.
- C'est
rien. Quand il pleut, elle se gorge d'eau et ferme toute seule.
(!!! sauf que là, il pleut, et elle ne ferme toujours pas!)
Tu vas voir, pas de souci! Faut qu'il y ait encore un peu d'eau qui
tombe... c'est tout.
Fin
de la discussion.
Voilà
qui ne vous rassure pas du tout.
Vous
repensez au plafond du salon et sa fuite d'eau non réparée,
au volet droit de la cuisine qui ne coulisse plus...En plus de cela,
il est de notoriété publique que vous avez deux mains
gauches... Bref.
AUCUNE
raison de paniquer.
Votre
mari retourne travailler. Pas le temps de voir autre chose... Où
se trouve le marteau dans cette foutue maison?
Ding
dong. Ça sonne à la porte. Vous vous précipitez avec le
vain espoir que votre mari ait oublié ses clefs ou vous
annonce: finalement, je peux rester à la maison!
Rien
de tout cela.
- Bonjour,
je suis le chef d'îlot, responsable de votre quartier en cas
de cyclone. Je dois vérifier que vous avez bien eu toutes les
consignes.
- Tout
va bien. (tu parles!)
Votre
sourire est un peu trop éclatant. Intérieurement, c'est
le champ de bataille.
Après
vous avoir brieffée, il repart prévenir les autres
maisons alentour.
Vous
n'avez qu'une hâte: tout calfeutrer, tout protéger.
Vous
sortez précipitamment. Balayez le jardin du regard.
Bourrasque. Les chaises et la table en teck!! Vous tentez
farouchement de les caser dans un garage fouilli, aux capacités
d'accueil limitées. La pluie larde vos fenêtres. Vous
vous affairez de toutes parts, brassant l'air.
Bizarre,
vos voisins ne semblent pas s'agiter, eux. Aucun n'a rentré
son salon de jardin...
Mais
vous êtes branchée sur une prise de 10000 wolts. Pas le
loisir de réfléchir, il faut faire vite.
Occupée
à l'inventaire de vos tâches urgentes, vous ne remarquez
pas immédiatement que votre ordinateur émet des
signaux. Une sonnerie retentit. Sur des charbons ardents, vous
sursautez.
Tante
Ursula!!! Elle
essaie de vous appeler, via internet, par écran interposé.
(En temps normal, vous savourez les merveilles de la technologie mais
là, pas le temps!!). Décrochez rapidement . Vous voulez
lui exposer brièvement la situation. Le son est mauvais,
intempéries obligent. Le décalage horaire (tante
Ursula, vraisemblablement encore dans les limbes du sommeil, vient de
se réveiller) ajouté aux perturbations de la ligne
rendent la conversation absurde.
Tante
Ursula:
On a appris qu'un cyclone arrivait droit sur vous...crrr
Vous
: ... grrrrrrr...zzzzzz, Oui ... assez... violent...
ça fouette le visage...
Tante
Ursula: (blanc- grésillements-blanc) Quoi? On t'a frappé?
Vous
: ...
mais non! Quelle idée... je te parle du cyclone!...TOUT VA
BIEN, enfin, pour l'instant..
Dialogue
de sourds. Se concentrer malgré les phrases hachées.
Vous:
le cyclone n'est pas là... pas encore...
Tante
Ursula: (blanc- grésillements-blanc) comment? des corps??? y a
des morts??? Ma pauvre chérie...
Les
interférences sont telles que vous redoutez une coupure de la
ligne.
Vous
: ... liaison très mauvaise... ç'est peut-être la
fin...grgrgrg... de la communication...on se rappellera...
Tante
Ursula : ... mais non, ma grande, ce n'est pas la fin! Hauts les
coeurs! Sois courageuse...
Vous:
...
Plus
d'électricité. L'écran devient noir.
Vous
priez pour que tante Ursula ne fasse pas d'infarctus. Retournez
frénétiquement à vos préparatifs... et
repensez aux discussions invraisemblables qu'engendre le téléphone
quand 22000 km séparent les interlocuteurs.
Si
votre soeur vous appelle pour vous raconter les dernières
nouvelles : vous comprenez que sa copine Clara est partie s'installer
avec Brad Pitt dans un couvent brésilien, sur un tapis volant
pour faire une suprise à son chat... Ca vous rend folle...
Quand
ce n'est pas l'éloignement qui rend difficile toute
conversation, c'est la foudre qui tombe sur votre modem (avez hurlé
de peur quand c'est arrivé); ou les pluies qui brouillent
l'image de votre téléviseur. L'homme a bien tenté
de mettre en place un savant arrangement de fils pour améliorer
la situation... mais vous n'êtes parvenue qu'à les
emmêler et ne savez absolument pas vous servir de
l'installation élaborée méticuleusement. Seule
trouvaille (dont vous êtes très fière): quand
vous vous maintenez à une trentaine de centimètres du
petit écran, les bras écartés, en équilibre
sur le pied droit (SI, le droit, pas le gauche)... ça marche
!!! L'image est nette! La difficulté, que vous reconnaissez
humblement, réside dans l'impossibilité de tenir cette
position plus de 5 minutes. Pas de risque d'une orgie cathodique en
l'abscence de l'Ingénieur en chef.
Vous
avez voulu relater, avec orgueil, cette trouvaille.. mais n'avez
rencontré que dédain amusé de la part de votre
moitié...
Tout
en songeant à ces contingences, vous attrapez un sécateur
et, de
nouveau dehors, vous entreprenez de tailler nerveusement vos
arbustes. Complètement rincée, vous tentez de les
délester des branches trop lourdes
qui pourraient donner trop de prise au vent... Et si elles devenaient de dangereux projectiles?...Ridicule!
Ne réalisez pas qu'un cyclone ne fait pas grand cas de vos
jolis arbustes élagués avec amour. Il les arrachent.
Sans pitié aucune.
Les
heures s'égrainent.
Vous
avez scotchés vos fenêtres (paraît que faut le
faire!), et tapie dans le couloir (ben oui, loin des fenêtres,
quoi), vous attendez en inventant des jeux idiots pour occuper vos
marmots.
L'homme
n'appelle pas. Ce doit être grave. Un homme qui n'appelle pas
c'est toujours grave. Soit il vous a oublié (dramatique,
auriez du mal à vous en remettre), soit il croule sous le
travail (et rentrera d'une humeur massacrante), soit il savoure une
bière avec des amis (sans vous prévenir? vous le
trucidez)... et puis, dans un moment pareil, ça, il ne le
ferait pas.
Il
l'a fait.
Le
cyclone a dévié sa trajectoire. Ne passera pas sur la
Calédonie.
Il
est allé fêter ça.
- Comment?
Tu ne savais pas? Mais pourtant la pluie avait faibli... je
pensais... j- je croyais...que tu en déduirais...
Vous le trucidez.
Chapitre 8 (suite et fin)
Ravalée
la petite réflexion sardonique qui vous monte aux lèvres...
vous creusez, creusez, creusez, ahanant, soufflant. Au bout d'un
quart d'heure de ce petit manège éreintant, vous
transpirez à grosses gouttes :
- Pourquoi
ne pas utiliser la rame pour faire levier? Avec un peu de chance,
cela suffirait à libérer notre embarcation ?
Moyennement
convaincu mais désemparé, l'homme tente le tout pour le
tout. La rame glissée sous la coque, de son épaule
gauche, il initie un léger mouvement de balancier. « Les
moules, c'est la santé »
daigne légèrement bouger, pas plus. Mais ce bateau vous
nargue! Redoublant d'énergie, votre navigateur-chéri
réitère son mouvement une fois, deux fois, trois fois
jusqu'à ce que...
Bruit
net et reconnaissable entre tous :
- Crrrrraaaaaaac!
...
suivi de quelques invectives non relatables.
Pagaie
brisée. Moral aussi. Tentatives désespérées
de votre époux pour contenir son énervement.
Bilan
:
chenal à l'état embryonnaire + 1 aviron en morceaux.
Après
quelques atermoiements, vous suggérez de renoncer... Attendre
la marée, c'est bien aussi.
Observer,
au loin, des nuages menaçants vous donne une idée.
Inutile de passer des heures à ruminer votre mésaventure
:
- Peut-être
devrions-nous aller nous promener un peu (à pieds!) avant que
la pluie ne nous en dissuade? Autant en profiter pour visiter
l'îlot!
De
mauvaise grâce, votre moitié abandonne le chantier en
grommelant.
Vous
n'avez pas fait deux pas sur la plage (curieusement toujours aussi
déserte) que vous percevez nettement des bourdonnement
caractéristiques.
Invasion
de moustiques!!
L'homme
en profite pour partir à la chasse... et se défouler
ouvertement sur votre dos prétextant:
- «Mais
chérie, il y a 14 moustiques qui te piquaient en même
temps!!»
Vous
faites de même, avec des arguments similaires! Pugilat général
...
Résumé:
vous êtes seuls, sur une île sauvage infestée de
moustiques, sans bateau opérationnel...
Pour
éviter de devenir le festin de vos
agresseurs ailés, une petite baignade s'impose. Quelques
brasses plus tard :
- Pourquoi
ne pas nager un peu plus au large? suggère l'homme.
- Heu...
mais on est bien au bord, non? rétorquez-vous vivement
(repensez sournoisement à votre infirmière et son
requin!! Préférez barbotter.).
Ces
dernières pensées vous troublent un peu. Tout compte
fait tous les moustiques de Calédonie valent mieux qu'un
requin... non ? Votre
bain tourne court. Vous sortez de l'eau . La
pluie s'invite aussitôt.
«Seuls
sur le sable les yeux dans l'eau, mon rêve était trop
beau» fredonnez-vous, non sans humour..
Votre
regard (humide!) se perd dans le lointain. Tiens? une ombre sur
l'eau. La brume vous empêche de distinguer clairement de quoi
il s'agit.
- Tu
vois? Interrogez-vous l'homme, pleine d'espoir.
- Je
crois, oui. On dirait un bateau.
Il
n'en faut pas plus pour vous faire bondir. Mouvements frénétiques
et cris de hyène:
-
On est là, hurlez-vous.
Une
barque de pêcheurs s'approche. Vous riez de bonheur. L'aventure
prend fin. Euphorie!! Vous commenciez à trouver le temps long.
- Mais,
mais .... ils continuent leur chemin! éructez-vous.
Riez
nettement moins...
- Ouhouh!!
(voix
de stentor),
reprenez-vous de plus belle.
Les
deux mains sur la tête, atterré, votre mari lâche:
- C'est
pas vrai, ils
ne vont pas nous faire ce coup là!
Oh
que si... Vos «sauveurs» passent devant vous, hilares.
Visages réjouis, ils désignent le semi-rigide...
- Oui,
on sait,
merci. On avait bien besoin de ça! lance, l'homme, furibard.
Délicieusement
romantique...
Kaways
vissés sur la tête, cordons noués au ras du
menton, vous vous asseyez sur la glacière (mouillée!)
et attendez....
Quand
enfin, la mer daigne refaire son lit dans l'ébauche de chenal,
vous vous précipitez.
Zodiac à flots, le moteur vrombit.
Un silence lourd pèsera sur toute la durée du voyage retour. Mine renfrognée. L'homme est vexé.
Chapitre 8: vous avez dit "romantique"?
«Une infirmière métropolitaine de 23 ans a été attaquée par un requin de grande taille, hier matin [...]. Levée tôt pour prendre des photos souvenirs, cette infirmière du CHT Gaston-Bourret, à Nouméa, venait de finir son contrat avec l’hôpital et s’apprêtait à rentrer chez elle, en Métropole. [...]Après avoir quitté le gîte [...], elle s’est jetée à l’eau, avec une de ses amies[...]
Un habitant témoigne:
«La marée était haute, il y avait un léger
courant. À quelques dizaines de mètres de la plage,
j'ai entendu l'une des deux nageuses appeler à l'aide et
revenir terrorisée à la plage. Son amie venait d'être
attaquée à la jambe. Elle a dit que c'était un
requin. [...]»
L’hypothèse avancée par les
secours est celle d’un requin de grande taille, type tigre ou grand
blanc. [...]La plaie mortelle part de la hanche pour finir au niveau
du genou droit, et mesure entre 35 et 40 centimètres.»
Vous
reposez les Nouvelles
Calédoniennes,
sans voix. A
bord de votre nouvelle acquisition familiale, un zodiac de 5 mètres
baptisé « les
moules, c'est la santé »,
vous prenez le large, un peu moins motivée qu'avant votre
lecture.
Vous
camouflez précipitamment le journal sous un gilet de sauvetage
(n'allez pas gâcher la journée par cet épouvantable
récit), ouvrez grand les bras, faites de savants moulinets et
prenez de voluptueuses bouffées d'air marin, roulant des yeux
enthousiastes.
Vous
en faites peut-être un peu trop, votre mari vous regarde d'un
air soupçonneux...
Quelle
merveille que cette étendue turquoise peuplée d'une
multitudes de poissons endémiques ou coraux bigarrés.
La mer est d'huile, fortifiante. Vous glissez sur les flots, les
cheveux (frisottés!) au vent.
Après
vingt minutes de navigation (ravissement!), vous parvenez à
l'îlot Bailly dans le Parc Territorial du Lagon sud. Belles
plages DESERTES (vous le regretterez), palétuviers
remarquables dont les volumineuses racines sortent curieusement de
terre, soleil au zénit: le REVE!
Aidée
par votre mari-bien-aimé, vous déchargez
l'équipement-pique-nique. L'après-midi peut commencer:
Parasol,
nattes, glacière (remplie de bonnes bières fraîches
et autres denrées appétissantes), petits pliants (ah
non, l'homme les réserve pour vos vieux jours! «tant
qu'on peut marcher correctement, on peut s'asseoir à même
le sable, même si la terre est basse!» affirme-t-il),
palmes et masques, magazines (que vous avez réussit à
glisser subrepticement dans votre sac, avant le départ)...etc
Lézarder
sous les doux rayons tièdes... 1 heure passe...
Vous
vous tournez vers votre cher et tendre; aux lèvres, un sourire
extasié. Une légère brise se lève et vous
caresse le flanc.
Et
puis tout à coup, puissant coup de vent.
La
serviette de votre adorable-époux vous fouette violemment,
accompagnée d'un nuage de sable. Sursaut. Plus personne à
vos côtés. Maudissez un peu l'homme-de-votre-vie : il
vous aurait épargné ce désagrément s'il
était resté tranquillement à brunir. Vous le
cherchez.
Que
fabrique-t-il allongé à proximité du bateau?
Son
visage est consterné.
- Je
peux t'aider? hasardez-vous d'une voix timide.
Vous
êtes plutôt circonspecte...
Hochant
la tête d'un air furieux, il désigne, impuissant, la
coque du semi-rigide.
Vous
constatez alors l'objet de son dépit: le zodiac, échoué
sur le sable, se retrouve prisonnier, la marée ayant fait son
oeuvre.
Irrésistible
envie de rire. Se retenir, absolument.
Le
visage contrit qui vous fait face est à la hauteur de
l'humiliation subie...
L'incurie
de votre mari semble toutefois décupler ses capacités.
Il
s'engage, opiniâtre, dans un combat, perdu d'avance.
Stratégie
:
placer toutes ses forces dans la réalisation d'un
chenal.
Objectif
:
faire revenir l'eau autour du bateau dans les meilleurs délais
(la marée ne saurait remonter avant plusieurs heures).
Moyens: ses bras musclés... et les vôtres (nettement moins
athlétiques)!
Pourtant
bavarde impénitente, vous vous taisez. L'heure est grave. (suite à venir)
chapitre 7 (suite et fin)
Vous allez reprendre votre chemin
quand elle précise, d'une voix flûtée:
- Attention, ne passez surtout pas
par la rivière...
- Ah bon? Pour quelle raison?
Vous êtes intriguée.
- C'est tabou... susurre-t-elle.
Elle
perçoit votre étonnement
teinté d'interrogation mais se tait, et brusquement, vous
tourne le dos, comme si elle avait trop parlé. Vous comprenez
que l'entretien est clos.
Moyennement rassurée, vous
contournez des bananiers, une palmeraie. La végétation
est dense et, déroutée, vous ne voyez pas bien par où
passer.
- PAS là, intime-t-on
derrière vous.
Une nouvelle femme, robe mission
verte et ton énigmatique, se tient devant vous.
- PAS là, répète-t-elle
avec insistance.
Son avertissement vous semble
étrange. Vous êtes-vous aventurée dans un lieu
sacré?
Une certaine inquiétude
monte en vous.
- Pourquoi? où suis-je?
interrogez-vous, non sans crainte.
- Près de la rivière.
Bravo, vous félicitez-vous
ironiquement. Vous voilà justement là où il ne
faut pas. Ah, vous ne faites pas la maligne!
- «Ils» nous appellent... poursuit la femme, mystérieuse.
Votre appréhension grandit.
- Qui ça, «ils»?
Vous cherchez à être
rationnelle, à vous raisonner .
- «Eux»
- ....
- Ils entraînent les
enfants...
- ...
- pour les noyer (!)
Vous frissonnez. Ces histoires
vous donnent la chair de poule.
Vous n'allez pas vous laisser
impressionner... hein?
Chassant d'horribles visions de
votre cerveau, vous revenez, obstinément, à votre
objectif initial.
- Mais comment rencontrer le chef?
hasardez-vous, une dernière fois.
Tout de même, une certaine
peur remplace progressivement vos velléités.
Visage absorbé, elle ne
répond pas.
Tout cela ne vous inspire guère...
C'est décidé, vous
reviendrez plutôt avec votre mari.
Demi-tour...
Mais la femme en vert poursuit :
- «Eux», les Anciens...
on ne sait pas ... beaucoup d'enfants sont morts dans la rivière...
Tout ceci commence à vous
ficher la trouille.
Soudain, votre interlocutrice vous
saisit le bras.
- Viens voir.
Pas rassurée du tout, vous
ne pouvez vous dérober.
Elle vous conduit, à
quelques mètres de là.
Sous vos pieds, un profond
précipice. Il mène directement à la rivière.
Courant violent.
Vous n'avez qu'une envie :
détaler!
Vous ne savez plus ce que vous
foutez là, comment vous vous appelez, vous finissez même
par ne plus savoir si c'est le précipice trop abrupte ou bien
les Anciens qui sont la cause de tous ces morts...
Vous souriez, crispée.
Ne pas essayer d'en savoir plus,
rebrousser chemin...vite.
- Merci, balbutiez-vous. Je
saurais m'en souvenir.
Vous abandonnez l'idée
d'une petite baignade en eau douce. Le lagon offre tellement de
magnifiques surprises? Non?
Chapitre 7 :petits meurtres entre amis...
Les
denrées étant rares ou nouvelles (quelqu'un peut vous
dire ce qu'est la «chouchoute»?), vous avez délégué
à la «gamelle»
une partie de la préparation des repas .
Non,
vous n'êtes pas pour autant devenue un mammifère
quadrupède de la famille des
canidés, même
si vos cheveux...
La «gamelle» est un
traiteur, familial, chargé d'assurer, à moindre coût,
quelques uns de vos menus hebdomadaires. Curieux nom mais idée
bien pratique, déclinée sur tout le territoire.
Cette
invention vous convient parfaitement, vos idées gastronomiques
étant restées sans réalisation concrètes
depuis
vos
6 ans, âge où vous jouiez encore à la dinette...
Un
jour
de crise culinaire aigüe, vous êtes invitée
à une partie de cueillette de mangues dans un jardin privé.
Les fruits sont chers, parfois difficiles à trouver. Belle
opportunité.
Arrivée chez votre amie,
vous vous préparez à la délicieuses récolte.
Armée d'une grande perche à
crochet (pour les spécimens récalcitrants ou nichés
trop haut), vous accompagnez, d'un pas décidé la
maîtresse des lieux.Tiens, elle ne prend pas de
perche, elle?
Comment va-t-elle procéder?
Vous
mesurez pourtant dix bons centimètres de
plus qu'elle.... (votre amie, pas la perche!)
Ok,
vous avez compris: VOUS attrapez, ELLE ramasse. Au
boulot.
Certains fruits ne sont
accessibles que de la route qui borde la maison.
Vous sortez gaillardement afin de
vous en emparer... sans prendre garde aux jappements lointains d'une
«joyeuse» bande de chiens. (Votre 6ème sens est en
berne...)
Dans un premier temps, l'objet de
vos souhaits résiste. Vous vous obstinez. Munie de votre arme
vous lui livrez un combat sans merci. Après vous être
débattue comme une acharnée (ce n'est pas un fruit qui
aura raison de votre caractère belliqueux, non mais)...
Victoire!Tout
en savourant l'issue de cette lutte farouche, vous remarquez un léger
détail : une pellicule gluante recouvre vos bras, votre
décolleté, votre cou....???
Pas
un instant pour analyser cette nouvelle substance indésirable...
une
véritable meute de bâtards, tous crocs sortis surgit de
nulle part... et vous attaque sauvagement. Les chiens errants sont
pléthores sur le territoire mais vous ne vous attendiez pas à
une telle offensive! L'un tente vainement d'attraper vos ballerines,
l'autre vous lèche les mollets en attendant de les croquer, un
troisième, d'une impolitesse extrême, vous renifle
ostensiblement le derrière, un quatrième grogne
bruyamment, campé sur ses pattes arrières, hargneux...
Ce dernier finit par vous sauter dessus avec force.Déséquilibrée
par l'assaut, vous en lâchez quelques précieuses mangues
et, pusillanime, sonnez la retraite avec une célérité
dont vous ne vous pensiez pas capable.
Juste le temps de vous précipiter,
haletante, derrière la clôture du jardin de votre amie.
Le butin est maigre: trois
malheureux fruits âprement gagnés.
Ceux-là,
vous allez vous les BOUFFER avec volupté,
vous les avez mé-ri-tés!!
Encore toute essoufflée et
un peu piteuse, vous remerciez votre hôte (les mangues
s'avèreront un vrai délice!) puis prenez rapidement
congé...
Drôle d'impression, ces
picotements. Bizarre... ça a l'air de s'intensifier. Ce
pourrait-il que la curieuse pâte qui vous recouvre les membres
s'avère hostile?
Les fourmillements deviennent
démangeaisons.
Les heures passent.
Votre peau se colore d'une teinte
rouge violacée.
Vous vous grattez avec véhémence.
De nombreuses plaques mauves se forment et recouvrent la quasi
totalité de votre buste. L'irritation s'intensifie. Fièvre.
Vous ne dormez plus.(Et
tout ça pour 3
fruits...)
Votre épiderme est rongé
par la sève des manguiers: brûlure au second degré
diagnostique le médecin...
Alors qu'on ne vienne plus -
JAMAIS- vous proposer une charmante petite cueillette champêtre
et printanière en brousse... ce sera NON. Vous êtes définitivement
trop gauche. Leçon comprise.
Vous restent encore les promenades
(sans cueillette et sans chien, pitié).
Animée
du désir de rencontrer les tribus locales, vous partez, seule,
en éclaireur, demander l'autorisation au chef de fouler sa
terre.
La coutume veut que vous ne puissiez y pénétrer sans
son aval et vous vous y plier bien volontiers.
Mais où trouver le chef?
Comment savoir si on ne commet pas déjà une bévue
en partant à sa quête?
Vous croisez des regards,
indifférents, fuyants ou très avenants.
- Bonjour....Au revoir, tentez-vous
poliment.
- Ta-Ta, vous réplique-t-on.
- ...
Ça veut dire ? Etes-vous la
bienvenue ?
Plus vous avancez, moins vous
savez s'il est judicieux de continuer à progresser...
(On vous expliquera, quelques
jours plus tard que «ta-ta» n'a rien à voir avec
les «ta-ta-ta-ta-ta» vociférés par
l'héritier, un pistolet à la main, en pleine imitation
paternelle: «moa, je défends les gentils contre les
méchants!»... Ces deux courtes syllabes sont une manière
courante et affectueuse de dire «au revoir».)
Le chemin qui traverse la tribu
est étroit et vous croisez peu de personnes.
Une femme vous adresse un geste de
la main. 60 ans, large sourire.
Vous vous jetez sur elle avec un
empressement à peine dissimulé:
- Bonjour, heu, je cherche le chef
de la tribu. Où croyez-vous que je peux le rencontrer?
- Par là (mouvement vague en
direction de l'horizon), répond-elle.
- Très bien, merci.
Votre sens de l'orientation
s'avère déficient, certes, mais si vous ajoutez à
cela la tendance de certains locaux à indiquer un « par
là, par là», systématique et évasif...
que vous soyez à 100m ou à 1 km de votre destination,
cela conduit parfois à des itinéraires folkloriques!! Vous allez reprendre votre chemin
quand elle précise, d'une voix flûtée:
- Attention, ne passez surtout pas
par la rivière...
- Ah bon? Pour quelle raison?
- Elle perçoit votre étonnement teinté d'interrogation mais se tait, et brusquement, vous tourne le dos, comme si elle avait trop parlé. Vous comprenez que l'entretien est clos. (suite à venir...)
Idée cadeau
Chapitre 6 (suite et fin)
Votre époux bien aimé
s'impatiente:
- On va au centre médical de
Wé, tranche-t-il, excédé.
Wé, la plus importante
agglomération des îles Loyautés... vous allez
bien y trouver un praticien!
Capitale de cette île de
1150 km2, elle regroupe à elle seule trois tribus : Luecila,
Qanono et Hnaase... (qu'on ne vous demande pas de prononcer leur
nom!)
Abrutis par le climat, les gens,
au bord de la route, semblent apathiques.
Une certaine indolence règne...
Vous parvenez enfin aux urgences
locales, votre cadette sous le bras.
Les
«hommes» sont partis se restaurer vous laissant vous
débrouiller seules (lâches!!).
Vous passez rapidement devant la vitre du secrétariat, y jetez
un coup d'oeil furtif.
Dans votre nouvelle robe mission,
vous vous sentez moyennement à l'aise. Seriez-vous un peu
décalée? Elle sied parfaitement aux femmes de l'île
mais, à vrai dire, vous n'avez vu aucune métropolitaine
s'habiller de la sorte.....
Votre reflet, l'amplitude du
tissu.... quelle délicieuse sensation de fraîcheur! ...
sans doute la cottonade, légère et fluide...le vent s'y
engouffre aisément...
Ou bien, est-ce? oh non.... (horreur intégrale)
Vous
constatez, effarée ... que votre tenue est, en fait,
complètement
transparente!!
Dire que vous n'avez rien remarqué jusqu'alors!! Vous restez
quelques instants interdite.
Bouffées de chaleur, gestes
désordonnés... vous finissez par attrapez fougueusement
votre petite chérie dans vos bras afin de camoufler ce que
vous pouvez.
La secrétaire médicale
a dû s'absenter «un quart d'heure» stipule le petit
papier.
Trois quart d'heure plus tard,
vous frappez timidement à une porte derrière laquelle
vous parviennent des voix étouffées.
Une tête ébouriffée apparaît.
- Qui y a-t-il? demande un homme.
Vous l'avez ostensiblement
dérangé.
- Pardonnez-moi, je cherche un
médecin pour ma fille...
- Oui, eh bien, attendez votre
tour.
Légèrement
mortifiée, vous allez vous rasseoir sagement, votre fille sur
les genoux.
Au bout d'une dizaine de minutes,
l'homme-de-derrière-la-porte sort de son antre, un café
à la main.
Mélanésien, une cinquantaine d'années, il plaisante tranquillement avec un patient et
semble ne pas faire la moindre attention à vous.
Et, au moment où vous vous
y attendez le moins :
- Venez.
Empêtrée dans votre
robe (très indiscrète!!), votre fille en sarouel, vous
pénétrez dans le cabinet en rasant les murs.
Il vous observe avec étonnement
(voudriez être 300m sous terre!) puis reporte son attention sur
votre progéniture.
Un léger hématome
sur la joue droite, évoque une récente escalade
manquée...
- Qu'est-ce-qu'elle a eu?... le ton
est soupçonneux.
- Oh, elle s'est cognée en
jouant.
- ...
(ben quoi, ça arrive, non?)
- Je
protège toujours les enfants gentils
des mamans méchantes...
(véridique!!!) La moutarde vous monte au nez.
Vous vitupérez
intérieurement contre celui qui ose ces supputations.
- Mais je peux vous affirmer
qu'elle s'est bien...
- Oh, vous pourrez me raconter ce
que vous voudrez....
Vous vous délitez sous
l'accusation. Ah, merde alors. Vous l'aimez
autant qu'il est possible d'aimer, la dorlotez, la gâtez (un
peu trop d'ailleurs), l'éduquez, la bichonnez, la chouchoutez,
la cajolez...!!
Et impossible de vous défendre!
Il a dû voir trop de
malheurs pour vous accuser de la sorte.
N'empêche, le coup est rude
et inattendu.
Commence alors l'auscultation...
- Je vois...
Quoi? Que voit-il? Vous vous
attendez à tout... méningite? Dengue? Fièvre
afteuse? (heu... enfin, pourquoi pas?)
- Ce que je vais faire à
votre fille est extrêment douloureux (!!). Si je vous le
faisais, vous tomberiez dans les pommes.
Vous avalez votre salive.
Effrayée, l'envie de partir en courant vous tenaille.
Vous attendez la suite.
- Est-ce bien nécessaire?
Votre petit coeur de mère
se serre.
- Oui, cela la calmera dans un
deuxième temps.
Le docteur se munit alors d'une
grande spatule en bois. Il l'approche de la cavité buccale de
votre cadette et se met à lui labourer la gencive avec
acharnement.
Le sang gicle. Hurlements de
douleur.
- Voilà, ouf, la dent est
sortie.
- ????
C'était
donc ça? Vous
vous sentez ridicule.
Honteuse de constater l'exubérance
de votre imagination, vous gratifiez votre interlocuteur d'un petit
sourire gêné.
- Votre fille va aller beaucoup
mieux maintenant.
De fait, les cris ont cessé
et votre héritière joue tranquillement avec des
trombones...
Il la regarde, presque paternel.
- Heu,
merci beaucoup, beaucoup. Comment
dois-je vous régler?
Changement de ton...
- Ah, j'y connaît rien à
tous ces trucs.
- ...
- Casse-toi, avant que je ne change
d'avis.
Estomaquée. C'est toujours
comme ça, ici?
Vous ne savez s'il faut partir ou
pas, être reconnaissante ou pas, aimable ou pas, souriante ou
pas.
- Allez, casse-toi.
Le geste de la main est éloquent.
Vous bredouillez des
remerciements, embarquez votre fille, ne cherchez plus à
comprendre... et courrez vous réfugier dans votre voiture
(toujours en rasant les murs).
Déroutant, ce toubib bourru
est tout de même d'une belle générosité.
Chapitre 6 : bigoudis en folie
Pour vous remettre de vos
émotions, rien de tel qu'une petite séance chez le
coiffeur.
Tout comme le courrier, le marché,
la bibliothèque, etc, la coiffeuse se trouve... dans le camp.
Bon, vous arrivez en retard
(toujours pas intégré le lever des couleurs dans le
planning!!) et bien moche (depuis quand arrive-t-on chez le coiffeur
déjà «brushée»?).
Racines
adipeuses, délicieusement brunes, contrairement au reste de
votre blonde chevelure. Eh oui, c'est dit, vous êtes une FAUSSE
blonde qui vit (très) mal la terrible humidité
tropicale ambiante. Entre le bichon maltais et le caniche, vos
pitoyables frisettes vous font ressembler, à
une créature canine hybride inédite.
Pourtant, on vous accueille comme
une princesse.
- Alors, qu'est-ce qu'on leur fait?
Un «flash», comme d'habitude? On rafraîchit les
racines?
- Parfait.
Vous vous abandonnez aux mains
expertes et savourez ces instants de délice.
Après le badigeonnage, les
mêches sont recouvertes de multiples feuilles de papier
aluminium en couches régulières.
- Pour que la couleur prenne bien.
S'il faut ça... En sapin de
noël futuriste, vous feriez fureur!
Vous contemplez votre reflet.
Sourire niais. Heureusement que personne ne vous voit dans ce
lamentable état.
A cet instant exact, la porte du
salon s'ouvre brutalement:
- On avait dit demain pour la coupe
militaire mais j'ai un empêchement. Pouvez pas me prendre, par
hasard?
Grand,
port de tête altier, démarche assurée, un homme à
l'uniforme impeccable vient d'entrer dans le salon aux vitres sans
teint
(détail très important!! vous aviez misé sur
l'effet à-l'abri-des-regards!)
Vous
vous enfoncez profondément dans votre siège et tentez
de vous dissimuler derrière un Paris
Match
de novembre 1998 (viennent
par bateau et tout et tout, faut le temps... Vous apprendrez
vraisemblablement le mariage de Nicolas Sarkozy avec Carla au moment
de leur divorce!!)
N'a pas l'air de vous avoir
remarquée. Ouf.
- Vous avez eu le temps d'écrire
l'article pour demain?
- ...
Et voilà... non seulement
le subterfuge n'a pas fonctionné, mais en plus il va vous
trouver terriblement grossière de ne pas l'avoir salué...
- Je
vous l'envoie par mail... répondez-vous en hôchant la
tête (vos
papillottes dansent la samba), atrocement gênée.
Le rédacteur en chef du
journal du camp (eh oui, ils ont même leurs propres organes de
presse!!) s'enquiert de votre papier...
- Quel accueil la tribu vous
a-t-elle réservé?
- Charmant, les femmes m'ont montré
leurs ateliers de tressage (feuilles de palmiers), expliqué
le droit coutumier...etc
Pas d'échappatoire. Vous
offrez impudiquement vos cheveux huileux aux yeux de l'interlocuteur.Vous vous imaginez, vous, bigoudis
sur la tête, en train de parler boulot avec votre patron?
Pas simple de garder contenance.
Vous, cramoisie, tentant de
conserver un peu d'assurance.
Lui,
très poli, comportement normal,
un poil (!) supérieur.(Vous en déduisez donc que
si un jour, vous vous faisiez raser la tête, à
l'exception d'un petit palmier vert au milieu du crâne,
PERSONNE, ne vous dirait rien!)
Heureusement, la «coupe
mili» est généralement rapide.
Vous voyez venir la fin de votre
«supplice».
Petit signe du menton (votre
échaffaudage savant menace...) :
- A bientôt!
Vous vous retrouvez de nouveau
seule, avec Veronica.
- On va passer au bac.
Et de vous exécuter,
docilement.
- Tu as eu le temps de visiter la
Calédonie depuis ton arrivée? vous interroge-t-elle.
- Un
peu, nous avons, notamment pu découvrir Lifou. Superbe! Cette
île loyauté est un petit bijou de verdure dans un écrin
turquoise...
A cette pensée vous revient
un souvenir nettement plus, comment dire, rocambolesque...Voilà déjà
quatre jours que vous explorez l'immense platier de corail sous des
trombes d'eau.
Aujourd'hui, c'est Foire des îles.
Inauguration grandiose. Danses.
Discours. Danses. Discours. Danses. Discours. Danses... Votre
époux bien-aimé vous offre une superbe robe mission
bleue (deviendra grise au premier lavage)
que vous arborrez fièrement.Seule ombre au tableau: il
semblerait que votre cadette fasse les frais du climat tropical.
L'humidité malmène sa petite santé...39.5°, gémissements,
yeux hagards.Pas question de laisser
traîner.Vous vous mettez en quête d'un médecin.
Premier dispensaire, à Mu. Une inscription indique «le
médecin consultera le 5 novembre.» Très bien ...
sauf que vous êtes le 15 septembre.Votre fille aura eu le temps
de creuver dix fois sous vos yeux d'ici là !
Deuxième dispensaire, à
Drueulu (ça ne s'invente pas!).
Personne. On peut y lire :
Bien. Il est midi. C'est samedi.
Inspiration profonde. Vous fermez
les yeux un court instant. (Si, si, vous êtes tout à
fait calme.)
Votre fille, hébétée,
ne prononce plus que quelques monosyllabes quasi inaudibles.
L'héritier a faim et le
fait clairement comprendre.
Votre époux bien aimé
s'impatiente.....