Chapitre 1 : l'épopée sauvage
22h35
Un homme vous dévisage d'un oeil torve. 1 mètre 90,
costard noir et regard hautain.
- Sécurité
de l'aéroport, assure-t-il.
Il
observe, dédaigneux, votre attirail : poussette,
bagages, porte-bagages, sacs Leclerc recyclables remplis d'objets
in-dis-pen-sables, sac de randonnée (au
fait, pourquoi l'avez-vous emporté celui-là?)
et ... votre mari, flanqué de vos deux têtes blondes
débraillées. Le tableau est complet.
- ...Pfff….
Allez, passez. (Il
lève les yeux aux ciel)
Vous
sentez sourdre en vous une certaine anxiété teintée
de jubilation. Tout quitter pour partir vivre 2 ans en
Nouvelle-Calédonie...quelle idée avez-vous eu de jouer
l'épouse parfaite qui suit son mari aventurier à
l'autre bout du monde?
Le
jour ou plutôt la nuit du départ, vous l'avez rêvée
maintes fois. Vous avez imaginé tous les scénari
possibles... mais cet
homme décidément antipathique ne figurait dans aucun.
En
guise de comité d'adieu, c'est un peu « léger ».
Faut-il en déduire que cela n'augure rien de bon?
23h
Vient
le moment d’embarquer. Les négociations s’annoncent
difficiles :
- Non
madame, vous ne pouvez pas emporter la poussette à bord,
interdit l’hôtesse, péremptoire.
- Mais
où va dormir ma fille? Il s'agit tout de même de 10 h
de vol; il est tard et il n’y a pas de siège pour elle dans
l’avion et... protestez-vous.
Vous voilà déjà
submergée alors que les 23 h de voyage commencent à
peine. Il va falloir se ressaisir. L’hôtesse
est catégorique.
La
seule solution consiste à fixer une «nacelle» de
30 cm sur 10 (non,
vous n’exagérez JAMAIS)
où votre petit «ange», 18 mois et ... un peu plus
de 30 cm, devra trouver la place de s’allonger.
23h30
L’avion décolle.
Luttes,
cris, pleurs. Vos «chers anges» font montre d’une
IN-CROY-ABLE endurance.
Votre
patience est mise à rude épreuve. Impuissante, vous
laissez couler des larmes de découragement sur vos joues
rebondies. A cet instant, une femme, voisine de quelques rangées,
le genre maman bien intentionnée, (toujours
se méfier des mamans-bien-intentionnées)
semble vouloir vous parler. Elle est accompagnée d’une
autre, venue en renfort (genre
mère «parfaite», regard compatissant et voix
douceureuse)
:
- Comment
pouvons-nous vous aider? (l'hôtesse
a pris la fuite depuis maintenant deux bonnes heures)
Avez-vous de l’Atarax ou du Primpéran pour vos petits?
(substances
censées assommer votre turbulente progéniture)
Vous
pensez très fort:
- Dis-donc
la grosse, j’y peux rien si mes mouflets ‘dorment pas. Tu
retournes à ta place et tu la moules!!
Mais
vous répondez, avec une superbe maîtrise de vous-même:
- Oh,
je suis désolée de vous déranger. Je leur en ai
déjà donné. Pardonnez-moi de vous importuner de
la sorte.
Vous
êtes déjà épuisée.
Suivent
de longues heures d'âpre résistance et enfin...
2h
du matin : l'héritier sombre, bouche ouverte et lèvre
pendante. Du haut de ses deux ans et demi, vous ne pensiez pas qu'il
aurait une telle énergie.
3(!)
h
du matin : après une dizaine d’invocations à la Bonne
Mère, votre cadette plonge dans un sommeil agité.
Peu
de temps après, vous entendez :
- Notre
avion commence sa descente sur Tokyo.
Là
vous jetez un regard mauvais sur l'Homme. Indifférent
à vos malheurs, il vous a honteusement trompé dans les
bras de « Morphée », tout le trajet
durant. Et c'est, l'oeil vitreux que vous quittez l'appareil.
En
transit, vous avez tout le loisir de visiter l’aéroport
japonais. Le décalage horaire commence son long travail de
sape. Votre estomac n’apprécie pas, mais alors, pas du
tout...
pendant que les enfants, de plus en plus gracieux, monopolisent votre
attention comme personne. Pas la possibilité de s'appesantir
sur vos circonvolutions gastriques. Jet
lag...
Embarquement
pour Nouméa, c’est de nouveau la nuit.
Nouvelle
ambiance. La compagnie aérienne porte le doux nom d' «Air
Calin» (tout un programme).
Votre
fille dort (!!!). Les hôtesses sont Kanaks, Mélanésiennes
et de superbes ibiscus ornent leurs cheveux. Vous vous dites
tout-va-bien. Ca sent bon les îles!
C’était
parler un peu vite. Vous ne fermez pas non plus l'oeil. Cette fois
vos petits voisins qui, eux, ont dormi de Paris à Tokyo se
croient obligés de prendre en charge l'animation. Un peu de
Pimpéran???
Le
cruel manque de sommeil, le décalage horaire, la sagesse
exemplaire de vos bambins et autres agréments du voyage ont eu
raison de votre optimisme. Vous atterrissez à Nouméa et
marmonnez à votre tendre époux, avec une mauvaise foi
certaine:
- Eh
ben dis-donc, il commence bien ton super séjour familial.